Bernadotte

Après Henri IV, Bernadotte, qui commence sa carrière en tant que simple soldat, va prendre la tête du royaume de Suède. Connu par son statut de traître à Napoléon, il a gravi les échelons de manière fulgurante. Retour sur ce Béarnais méconnu.

Le musée Bernadotte à Pau – La République des Pyrénées

Jean-Baptiste Bernadotte naît à Pau, rue Tran, au deuxième étage de la maison Balagué (actuellement le Musée Bernadotte) en janvier 1763. Son père est un ancien clerc devenu procureur auprès du sénéchal (représentant local du roi). Malgré une culture juridique très solide, il conseille à Jean-Baptiste de se diriger vers l’armée plutôt que le droit. L’adolescent ne tient pas en place et l’armée semble plus appropriée. Il part et ne reviendra jamais en Béarn, sauf en 1783 et 1784 pour raison de santé. Il souffrait d’un mal de poitrine.

En 1780, à la mort de son père, il s’engage en tant que simple soldat au régiment Royal-La Marine, au service des colonies et des ports. Son chef de corps, le marquis de Pons, également palois, repère Bernadotte. La mission du marquis est de recruter des soldats très intrépides. Le souvenir des mousquetaires reste ancré, le pouvoir pense immédiatement à se fournir en hommes en Gascogne et surtout en Béarn.

Bernadotte, surnommé le sergent Belle-Jambe, gravit très lentement les échelons. Il devient caporal, sergent et, en 1790, adjudant. Presque 10 ans d’armée. Dans le même temps, influencé par les mœurs de l’époque, il devient républicain. Apprécié de ses hommes, il s’affirme en privilégiant les combats qui en valent la peine. Il est un chef charismatique, sachant se faire obéir de ses troupes. Trois ans plus tard, il est élevé au grade de capitaine puis de chef de bataillon. Sur le champ de bataille, il se fait remarquer par sa bravoure et sa grande méticulosité. Pour lui, les ordres doivent être scrupuleusement suivis. De 1792 à 1797, il participe à la quasi-totalité des campagnes. À seulement 31 ans, il gagne ses galons de général, ce qui lui vaut déjà quelques hostilités et ennemis. Kléber, auprès de qui il a combattu, le prévient que ce titre est honorifique mais que c’est aussi un « brevet pour l’échafaud ».

Bernadotte et Napoléon – The Swedish History Blog

De son côté, Bonaparte fait parler de lui. Il est en campagne en Italie et va de victoire en victoire. Lorsqu’il a besoin de renfort, Kléber envoie Bernadotte. Il se retrouve sous les ordres du général Bonaparte mais ne le rencontre pas encore. Ébloui par les faits d’armes du futur empereur, Bernadotte est admiratif de son travail. Avant la fin de cette campagne, le 21 janvier 1797, il prononce à Toul un serment le rattachant à la République et à la Constitution de l’an III, jurant sa haine de la royauté et de l’anarchie. Cet acte est son premier acte politique. La légende dit que c’est à cette occasion qu’il se fait tatouer sur le bras l’expression « Mort aux tyrans ».

Bernadotte et Bonaparte se rencontrent enfin à Mantoue le 3 mars de la même année. Le courant ne passe pas entre les deux hommes mais chacun reconnaît les qualités de l’autre. Le Béarnais se distingue dans les combats et mène ses troupes à la victoire. Bonaparte en est à la fois reconnaissant (même s’il s’en attribue le mérite) et jaloux. Mais il exige déjà une soumission de ses généraux. Bernadotte, qui en bon Béarnais « ne baisse pas la tête », accepte d’obéir aux ordres mais pas de se soumettre à un homme. Les deux hommes prennent leurs distances.

Quelques mois plus tard, Bonaparte envoie Bernadotte à Paris pour le représenter face au Directoire. Ses membres attendent résultats et argent de leur général des armées. Sur place, les royalistes commencent à se faire entendre un peu plus. La période est complexe, il en faut peu pour être accusé de traître à la République. Là-bas, Bernadotte retrouve Kléber, rencontre Talleyrand et sympathise avec le royaliste Pichegru, ce qui alimente la rumeur qu’il serait un royaliste camouflé. Il profite également de son séjour dans la capitale pour fréquenter les salons littéraires, notamment celui de Germain de Staël. Bonaparte s’en insurge et ne manque pas de remettre le Béarnais à sa place à son retour, l’humiliant au sujet de sa pseudo-culture. Les relations se tendent davantage entre les deux hommes.

Bernadotte, musée de l’histoire de France, Versailles – gettyimages.fr

Le Directoire nomme Bonaparte à la tête de la nouvelle « armée d’Angleterre ». Il prend avec lui ses principaux généraux, dont Bernadotte qui refuse pour rester en Italie avec ses hommes. Il informe le Directoire, qui accepte, qu’il remplace Bonaparte sur place. Mais ce dernier ne le voit pas du même œil et fait tout pour annuler cette décision. Bernadotte se voit finalement offrir le prestigieux poste d’ambassadeur de Vienne. Nous sommes en 1798. Une aubaine pour Bonaparte qui pense au piège de cette fonction. Pour sa part, le Béarnais, qui ne pouvait refuser cette proposition, découvre là-bas le luxe et les plaisirs des riches. Il y rencontre des personnalités illustres comme Beethoven, mais il n’est pas le bienvenu. La diplomatie française multiplie les erreurs dans ce pays, ce qui rend la situation extrêmement tendue. Bernadotte se fait beaucoup d’ennemis. Très vite, suite à un incident, une émeute éclate devant l’ambassade. Bernadotte, orgueilleux et fier, réagit par la provocation. Les relations sont coupées avec le peuple de Vienne. Au lieu de chercher à rétablir les liens, il choisit de sauter sur cette occasion pour retourner en France.

L’épopée autrichienne s’arrête net. La carrière diplomatique de Bernadotte semble compromise. De retour en France, il organise son mariage avec Eugénie-Désirée Clary. Elle était promise à Bonaparte qui a annulé le mariage au profit de la créole Joséphine. Par cette union, Bernadotte intègre la famille de Bonaparte puisque le frère de ce dernier, Joseph, est l’époux de Julie, la sœur de Désirée. Le mariage a lieu le 17 août 1798. Les mariés sont tous deux satisfaits de cette union et Joseph devient ami et protecteur de Bernadotte. Quelques mois plus tard, Bernadotte devient général de division à Mayence. Il s’attache à parfaire sa culture, point sur lequel Bonaparte l’a tant raillé. L’année suivante, naît son fils unique Oscar.

Alors que le conseil des Cinq-Cents est en refonte et que la campagne d’Égypte en cours, on lui propose le poste de ministre de guerre. Il l’accepte et réorganise tous les secteurs de l’armée. Le personnage séduit les troupes mais inquiète les politiques. Quand Bonaparte revient de sa campagne (qui pour Bernadotte est un échec), il critique le travail de ce dernier. D’autres au contraire en feront l’apologie. Malheureusement, les intrigues politiques l’obligent à démissionner de son poste. Quelques jours plus tard, Bonaparte s’empare du pouvoir via le coup d’État du 18 brumaire, auquel Bernadotte refuse de participer, tout en ne s’y opposant pas.

Sous couvert de légalité républicaine, Bernadotte se déclare neutre au retour de Bonaparte. Mais la rupture est totale. Le deuxième attend du premier qu’il reprenne les armes. Le Béarnais réplique qu’il se tient prêt à défendre le Constitution mais que, jusque-là, il reste un diplomate. Le coup d’État fragilise Bernadotte qui craint que la rumeur de son attachement jacobin ne lui soit fatale. Bonaparte le sauve de ce mauvais pas, d’abord parce qu’il craint malgré tout son rival, ensuite parce qu’il veut le meilleur pour son ex-fiancée Désirée. Malgré cela, les tensions demeurent avec le désormais Premier consul. Bernadotte reste très critique, Napoléon le garde sous surveillance. Le sachant parfaitement, Bernadotte ne cache rien de sa vie et se tient éloigné des intrigues, même si son nom y est souvent mêlé.

Bernadotte à cheval – Dédale

Napoléon conclut la paix d’Amiens avec les Anglais et se réconcilie avec le pape en 1802. Les complots s’enchaînent contre lui. Bernadotte continue ses critiques contre un pouvoir qui ne tient pas ses promesses. Napoléon ne s’y trompe pas : « Bernadotte critique mais ne trahit pas ». Il tente de le garder sous sa coupe, simplement parce qu’il a encore besoin de lui. Quant à Bernadotte, il comprend vite que pour obtenir ce qu’il veut, il suffit de se prosterner aux pieds de son rival. Il se rallie au pouvoir et obtient ainsi le commandement de l’armée de Hanovre. Puis, il devient maréchal. Napoléon, qui rêve d’empire, sourit de cette soumission.

Le 2 décembre 1804, Napoléon se fait sacrer empereur à Notre-Dame. Dans le Hanovre, Bernadotte se rend populaire et administre la région de main de maître. Il laisse l’image d’un « homme juste et raisonnable ». Mais il n’avait pas prévu la création de la Grande armée par Napoléon qui le renvoie à la guerre. Bernadotte prend alors le commandement du premier corps d’armée. Il participe à la bataille d’Austerlitz et obtient le 5 juin 1806, la principauté de Ponte-Corvo, près de Naples. Après d’autres batailles, il part à Lübeck où il fait prisonnier le général et comte suédois Mörner. Ce prisonnier de luxe est traité avec égard par le Béarnais. Mörner s’en souviendra plus tard et soutiendra Bernadotte en Suède.

Le 7 juillet 1807, le traité de Tilsit instaure la paix entre la France, la Russie et la Prusse. Alors que Napoléon gère l’hostilité autrichienne, Bernadotte est chargé de contrôler le blocus anglais et de menacer la Suède et le Danemark. Les Anglais profitent d’ailleurs de la défection des troupes françaises en s’alliant aux Hollandais. Fouché impose le maréchal Bernadotte (alors en disgrâce) pour gérer cette difficulté. Face aux menaces anglaises, autrichiennes, allemandes et espagnoles, Napoléon ne peut qu’accepter. Bernadotte se montre d’une efficacité redoutable, faisant se retirer les Anglais. Napoléon est à la fois soulagé de cette belle fin et agacé par cet homme qui réussit. Il ne faudrait pas qu’un autre se révèle plus grand que lui ! Pour contrer cela, Napoléon dit de lui qu’il n’est qu’un piètre militaire ayant failli conduire son pays à la défaite de nombreuses fois. Un militaire médiocre ? Pourtant, il n’hésite pas à lui confier les missions les plus périlleuses. La vérité est que Bernadotte impressionne Napoléon qui ne peut rien montrer de son admiration.

Bernadotte – Charles XIV de Suède – gettyimages.fr

La Suède est en guerre contre la France et la Russie. Le roi Gustave IV Adolphe abdique après le coup d’État militaire de 1809 Et Charles XIII lui succède. L’année suivante, un traité de paix est signé avec la France, Christian-Auguste est élu prince héritier du royaume mais il meurt quelques mois plus tard, laissant le royaume sans héritier.

Charles XIII doit alors choisir le successeur de Christian-Auguste : le frère de ce dernier, le duc d’Oldenbourg ou le fils du roi du Danemark, Christian-Frédéric. Bernadotte et ses conseillers proposent une troisième solution : un maréchal d’empire, prince italien, à savoir lui-même. La Suède se prémunirait ainsi d’éventuelles attaques françaises, sans pour autant se soumettre à l’empereur Napoléon. Puisque les Suédois connaissent bien les problèmes entre les deux hommes. Napoléon préconise d’ailleurs la solution danoise, au détriment du français Bernadotte. Soutenu en Suède, notamment par Mörner et surtout par l’émissaire Jean-Antoine Fournier, Bernadotte obtient le titre convoité, avec la promesse d’apporter suffisamment de revenus au pays pour le redresser. La Diète (parlement suédois) vote cette décision le 21 août 1810. Napoléon est surpris qu’une monarchie constitutionnelle choisisse un français révolutionnaire, mais il donne son accord. Il y voit l’éloignement bénéfique de ce jacobin de Bernadotte et la possibilité pour sa regrettée Désirée de devenir reine. Sans compter qu’il espère bien évidemment que la nouvelle fonction du maréchal soit un désastre, comme à Vienne.

Bernadotte négocie son départ de France. Le ministère de la guerre lui donne un million de francs (il en avait promis quatre). Surtout, il refuse de signer l’accord l’obligeant à ne jamais prendre les armes contre la France. Sur place en Suède, il promet de toujours faire passer le bien de son nouveau pays avant tout. L’esprit et la simplicité du Béarnais séduisent les Nordiques. Personne ne retrouve en lui l’homme décrit par Napoléon comme prétentieux et inculte, bien au contraire. Lorsque ce dernier tente d’envahir la Suède, Bernadotte se conforte dans l’idée de trouver ses alliances ailleurs (Russie et Angleterre), sans toutefois rompre totalement avec la France.

En Suède, Jean-Baptiste Bernadotte, adopté par le roi Charles XIII, devient Charles-Jean XIV. Sa femme, Désirée, ne reste pas dans ce pays où la nuit tombe dans l’après-midi. Parfait pour lui, il sera ainsi mieux informé de ce qui se passe à Paris. D’autant qu’il n’est plus question d’obéir au doigt et à l’œil à l’empereur maintenant. En France, Fouché et Talleyrand le préviennent des premiers craquements de l’édifice napoléonien. Charles-Jean regarde ailleurs, notamment vers la Russie qu’il tente de séduire. Il refuse d’accompagner Napoléon lors de sa campagne de Russie et mène ses troupes suédoises vers l’objectif norvégien. Après la défaite de Napoléon en Russie (Bérézina) en 1812, Charles-Jean s’engage dans la coalition et prend le commandement de l’armée suédoise contre la France. Il ressort victorieux à plusieurs reprises. Ce qu’il combat surtout, c’est l’empereur, absolument pas la France, son pays natal qu’il aime tant, mais la propagande fait de lui un traître à la nation. Puis, très vite, LE traître par excellence. Aujourd’hui encore, son nom reste attaché à la traîtrise. À ce moment-là, Charles-Jean n’a pas vraiment conscience de cette mauvaise image. Il continue de clamer son amour de la France et des Français, et à fustiger Napoléon, l’empereur fou. En fait, Bernadotte rêve de prendre la place de roi de France, non celle d’empereur.

Le 14 janvier 1814, une fois entré au Danemark, Bernadotte exige par le traité de Kiel que la Norvège soit cédée à la Suède. Ce sera la seule « conquête » réalisée par le nouveau Suédois. La Norvège est alors considérée comme un royaume avec ses propres constitutions mais unie à la couronne de Suède. Charles-Jean s’adapte aux lois et coutumes de son nouveau pays tout en affirmant son charisme. Il adopte la religion de ses ancêtres, le protestantisme.

Alexandre, tsar de Russie, lui fait miroiter le trône de France, jusqu’à ce que Charles-Jean réalise la chimère. Impossible, à cause de son image néfaste, de prendre le pouvoir en France. Quand le tsar entre dans Paris en 1814 sous les hourras des royalistes, il cède vite à la demande de Talleyrand de remettre un Bourbon sur le trône. Le 2 avril, le Sénat destitue Napoléon qui abdique et gagne l’île d’Elbe dont il devient un éphémère souverain. En France, Louis XVIII remonte sur le trône.

Quand Napoléon revient de son exil, Bernadotte le soutient tout en gardant ses distances avec lui et sa loyauté envers Louis XVIII. La Suède n’est pas tenue de combattre auprès des coalisés. De toute façon, hors de question d’entrer en guerre pour lui, il y a une couronne en jeu au royaume de Suède. Le fils de Bernadotte, Oscar, est d’ailleurs élevé comme un prince. Les Cent Jours sont toutefois une nouvelle occasion pour les gouvernements français et étrangers de noter le comportement ambigu de Charles-Jean.

Charles XIII, son père adoptif, meurt en 1818, laissant le trône à Charles-Jean qui devient Charles XIV Jean. Son pouvoir était cependant déjà bien engagé dès 1815, alors que Charles XIII était malade. Au moment de son couronnement, la Suède est surendettée. Le gouvernement de Bernadotte va s’attacher à redresser économiquement le pays. Restauration des voiries, développement des ports, construction du canal de Göta, chantiers navals, stimulation du travail du fer et du bois, etc. Il comprend vite l’intérêt de l’industrialisation. Même si tout n’est pas parfait, avec lui, la Suède prospère : explosion démographique, mise en place de mesures sur la santé, la justice et l’éducation, développement du commerce et de l’industrie, etc. Bernadotte, incapable d’apprendre la langue, devient le fondateur d’une période de stabilité et de paix pour la Suède. Il veille à préserver sa neutralité auprès des grandes puissances du moment, notamment la Russie et l’Angleterre.

Famille royale de Suède à Pau, 2018 – France 3 région

En 1823, son fils Oscar épouse la petite-fille de la créole Joséphine (qui porte le même prénom). Napoléon n’en était que le père adoptif. Vingt ans plus tard, le 8 mars 1844, Charles XIV Jean meurt à plus de 80 ans. Son fils prend la succession et, à 45 ans, devient Oscar Ier. Il meurt en 1859, suivi par Désirée, sa mère, un an plus tard. Le petit-fils de notre Béarnais assure la suite et devient Charles XV. Aujourd’hui, le roi actuel de Suède, Charles XVI Gustave, est le septième de la dynastie Bernadotte.

Sources

  • Barton Sir Dunbar Plunket, Bernadotte, (1931) Paris, Payot, 1983.
  • Bège Jean-François, Le fabuleux destin des Bernadotte, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest, 2012.
  • Favier Franck, Bernadotte, un maréchal d’empire sur le trône de Suède, Paris, Ellipses, 2010.
  • Girod de l’Ain, Bernadotte chef de guerre et chef d’État, Paris, Perrin, 1968.
  • Pingaud Léonce, Bernadotte, Napoléon et les Bourbons, Revue d’histoire moderne et contemporaine, Paris, Plon, 1901, 3-6, pp. 652-663.