Gaston Phébus

Gaston Fébus

Synthèse par Aurore Guilhamet

Gaston Fébus est un héros béarnais. Redouté par ses ennemis autant que par ses alliés, admiré par son peuple, respecté dans tous les royaumes, Fébus représente le modèle du chevalier valeureux et craint. Il met sa vie au service du Béarn et des Béarnais, défie ses ennemis avec diplomatie et est le seul prince-écrivain de son temps. Expert dans l’art de la chasse, il rédige un ouvrage essentiel sur ce sujet, toujours lu aujourd’hui.

Statue de Gaston Fébus devant le chateau de Pau – patrimoine.tourisme64.com

Gaston III de Foix est né en 1331, à Foix ou à Orthez. Le lieu de sa naissance n’est pas certain, les registres ayant été détruits lors des guerres de Religion. Sa dénomination complète est Gaston III de Foix, comte de Foix, et de Béarn, vicomte de Béarn.

Il compte parmi ses ancêtres quelques personnages fameux. Sa grand-mère paternelle n’est autre que Jeanne d’Artois, descendante de Robert d’Artois, frère de Saint-Louis. Le frère de Jeanne, également appelé Robert d’Artois, est populairement connu de nos jours pour être le héros des « Rois Maudits » de Maurice Druon.

Jeanne d’Artois fut enfermée par son fils, Gaston II Foix-Béarn, au château de Foix puis à Orthez, pour avoir mené une « vie licencieuse ». Fébus, son petit-fils, la libéra bien plus tard, entre 1347 et 1351. Elle dut renoncer à son héritage.

Gaston II Foix-Béarn meurt en Andalousie en 1343. Gaston a alors 12 ans. Aliénor, sa mère, assure la gouvernance jusqu’à sa majorité, à 14 ans. Il devient « Prince » des contrées de Béarn, Marsan, Gabardon, Basses-Terres albigeoises, Lautrec et Nébouzan.

D’après la chronique de Michel du Bernis, enfant, Gaston avait un tempérament de feu. Il était vif, sanguin et « lascif ». Gaston lui-même se décrira plus tard, comme un enfant mauvais et frivole. Sa mère Aliénor reprit son éducation en main et exerça autant son esprit que son corps. Son éducation fut centrée autour des questions littéraires, religieuses et d’actualité. Gaston parlait le français, l’occitan et le latin. Il connaissait la Bible, la mythologie et les auteurs antiques. Sa famille lui donna le goût de la discussion et du débat. Légende, son enfance turbulente ? Celle de ce gamin vivant de luxure, redressé par sa mère stricte ? Possible. C’est un des thèmes de la littérature épique de l’époque. Il s’agissait de montrer les défauts originels pour mettre en exergue la beauté de l’âme à venir, faire ressortir les qualités futures.

Château Moncade d’Orthez / La france medievale- blogger

Quand il fut en âge de régner, Aliénor parcourut ses terres avec son fils, à la rencontre du peuple. Gaston fut toujours proche de ses sujets. Il prêta serment en application des Fors de Béarn. Dès son accession au pouvoir, il mit en place un gouvernement propre. Il écarta la noblesse béarnaise et nomma des lieutenants chargés de maintenir le lien avec les bailes. Fébus décidait de tout, voulait pouvoir tout maîtriser. Il rendait d’ailleurs justice personnellement lors de litiges judiciaires. Fébus aimait ce contact avec le peuple et rendait justice pour tous types d’affaires, souvent en plein air, au château d’Orthez ou aux abords du gave de Pau. La règle d’or à laquelle il se tenait : tous égaux devant la justice. Fébus avait une idée forte de l’idéal chevaleresque et gardait certainement à l’esprit ce parent lointain, Saint-Louis rendant justice sous son chêne.

À partir de 1375, il mit en place un juge de Béarn, dépendant directement de lui. Pendant son exercice, il n’y eut jamais de condamnation à mort. En revanche, les peines d’emprisonnement étaient toujours assorties de fortes amendes. Lors du soulèvement d’Orthez, en octobre 1353, il condamna les responsables à une lourde amende. Dans n’importe quel autre état, le souverain aurait exécuté les responsables pour l’exemple.

Malgré tous les changements, il ne réforma pas l’administration en place. Il la rendit simplement plus efficace et s’imposa à toutes décisions. Il limita d’ailleurs la Cour Majour à 12 barons (la Cour Majour était une sorte de tribunal composé de jurats chargés d’assister le vicomte dans ses fonctions judiciaires). En 1354, il mit en place un code forestier (le vicomte était le maître des forêts de Béarn) : mise en place d’un droit d’entrée payant, d’une redevance annuelle, de péages et de règles d’utilisation précises.

Pour ce qui est de la monnaie, Centulle V avait mis en place un atelier monétaire (XIe siècle). Le Béarn pouvait battre sa propre monnaie. Fébus ouvrit le Béarn au commerce extérieur en faisant frapper de nouvelles pièces, s’alignant sur le florin. Pour lui, le commerce était une des richesses économiques du Béarn.

Le jeune Gaston dit l’ange de Foix, tableau de Claudius Jacquant, 1838, Wikipedia

Gaston épousa Agnès de Navarre, en 1349. La sœur d’Agnès, Blanche, épousa le roi de France, Philippe VI. Gaston devint ainsi à la fois beau-frère du roi de Navarre et du roi de France. En 1362, au faîte de sa gloire, Phébus profita de sa victoire à Launac pour chasser sa femme qui fut séparée de son unique enfant. Les raisons en restent obscures. Officiellement, ce serait pour le non-paiement total de la dot. Fébus ne voulut jamais la faire revenir et il est probable qu’Agnès n’ait jamais eu envie de revenir vers ce mari violent et colérique. Les conséquences furent dramatiques pour lui. Il prenait le risque de n’avoir qu’un seul héritier, son fils Gaston, dont il ne s’occupa jamais, contrairement à ses enfants nés hors mariage, Yvain ou Gratien.

Gaston, fils de Gaston Fébus, tenta d’empoisonner son père, probablement sous les ordres de Charles de Navarre (futur Charles le Mauvais). La légende dit que, trop naïf, Gaston croyait que la poudre donnée par Charles était une sorte de philtre qui ferait revenir sa mère Agnès à la cour de Fébus. Fébus n’y crut pas une seconde, il fit immédiatement enfermer son fils. Ses conseillers l’alertèrent sur le fait que Gaston était son seul héritier et qu’il fallait le libérer. Quelques jours plus tard, Fébus, irrité de savoir que Gaston entamait une sorte de grève de la faim, courut à la tour d’Orthez et le menaça. Il saisit un couteau pour l’obliger à manger et entailla accidentellement la peau du fils. Celui-ci, trop faible, mourut quelques heures plus tard. Cet événement fut le drame majeur de la vie de Fébus, un accident dont il ne se remit jamais. On pense qu’il l’évoque dans son Livre de la Chasse quand il raconte l’histoire d’Apollon de Léonis. Appolon vint à la cour de Clovis avec sa femme. Le fils de Clovis tomba amoureux de cette dernière. Elle le repoussa. Vexé, il tendit une embuscade à Appolon, tenta de violer sa femme et le tua. Elle se suicida immédiatement dans le fleuve dans lequel le fils de Clovis jeta le corps d’Appolon. Le lévrier d’Appolon récupéra le corps de son maître, creusa une tombe et l’enterra. Il resta là de longs mois. Clovis découvrit par hasard le lévrier, le reconnut et trouva le corps d’Appolon. Il mena une enquête et promit une récompense à qui dirait ce qui s’était passé. Une jeune femme révéla l’affaire et accusa le fils de Clovis. Ce dernier s’emporta, le condamna et le fit brûler vif. Comme Fébus, Clovis ne pouvait laisser son trône à un héritier indigne. Le bien et l’honneur du peuple passaient avant l’amour filial.

Territoire de Gaston III Fébus au début de son règne Wikiwand.com

Quand Fébus entra sur la scène diplomatique, le pays de Foix était rattaché à la couronne de France, contrairement au Béarn, indépendant. Il établit sa cour à Orthez, en Béarn. La France était alors en guerre avec l’Angleterre, les Anglais détenant alors la Gascogne. Fébus dut jouer entre les deux nations pour préserver l’indépendance du Béarn.

Fébus maintint toute sa vie qu’il tenait le Béarn de Dieu et de nul homme au monde. Gaston joua un double jeu : le comte de Foix rendait hommage au roi, le vicomte de Béarn restait souverain. Fébus, en tant que vicomte béarnais, ne s’engagea jamais ni du côté français, ni du côté anglais. Il fit preuve d’une diplomatie exemplaire, depuis le Béarn, menaçant le roi français de s’allier aux Anglais et menaçant le roi anglais de s’allier aux Français. Tous redoutaient le prince Fébus.

En août 1350, Jean II le Bon accède au trône de France. Charles, roi de Navarre, est à la cour de France. En 1352, il épouse Jeanne de France. Après bien des intrigues impliquant Gaston Fébus, ce dernier et Charles de Navarre devinrent ennemis à tout jamais. Alors que Phébus se fit appeler le comte Soleil, Charles devint Charles le Mauvais.

Son autre grand ennemi était Jean Ier d’Armagnac. Il était comte de Poitiers, frère du Dauphin et futur duc de Berry. Toute leur vie, ils ne cesseront de se quereller. En mars 1359, le traité de Londres fut établi entre Edward III et Jean II le Bon. Ce dernier étant retenu prisonnier par l’Angleterre, le traité fut un véritable désastre pour la France. De nombreuses régions passèrent sous le joug anglais. Le Béarn n’échappa pas à la règle. Mais le dauphin réfuta le traité et reprit la guerre. Pendant qu’Édouard III attaquait le nord de la France, Fébus s’en prit aux terres d’Armagnac : Bigorre, Toulouse, Comminges, Rouergue et Albigeois. En 1361, Fébus accepta une trêve qui ne dura pas et mena directement à la bataille de Launac. Cette bataille fit basculer la vie de Gaston Fébus.

Elle eut lieu le 5 décembre 1362. Fébus remporta la victoire et fit de Jean d’Armagnac son prisonnier. La rançon pour libérer le comte de Poitiers fut exorbitante pour l’époque : 300 000 florins. Avec les autres prisonniers, le montant total de la victoire de Fébus devait atteindre 600 000 florins. Même s’il n’eut pas cette somme en une seule fois, ce fut la base de son trésor.

Par la suite, les clans Foix-Béarn et Armagnac alternèrent attaques et trêves. Les intriguent ne cessèrent qu’avec le traité d’Orthez que Fébus ratifia définitivement le 20 mars 1379. Armagnac lui versa une indemnité de 100 000 florins et le mariage des enfants de Jean et Fébus fut décidé. En compensation, Fébus renonçait au Comminges.

Avec la suprématie de l’Angleterre sur la France, Fébus dut rendre hommage au Prince Noir pour ses terres. Le Prince Noir était le fils aîné d’Edward III. Fébus retarda au maximum la rencontre, et quand elle eut lieu, en 1364, il rendit hommage pour tout sauf pour le Béarn. Que ce soit le roi de France ou le roi d’Angleterre, Fébus tint toujours sa position au sujet du Béarn, terre convoitée, car lieu de passage obligatoire. Le Béarn demeurait neutre.

Il n’en protégea pas moins militairement le Béarn. Les Béarnais étaient toujours prêts à livrer bataille en cas d’urgence et les fortifications ne manquaient pas, surtout au nord du Béarn : Bellocq, Sault-de-Navailles, Sauveterre, Orthez, Pau, Morlanne, Montaner, etc. Au sud, seul Oloron protégeait le passage d’Espagne. Le Béarn était une des régions les mieux préparées, défensivement parlant. Pour autant, elle n’aurait jamais pu résister face à une attaque française ou anglaise. Sa protection première résidait dans l’incroyable agilité diplomatique de Fébus et à sa force de dissuasion. Il sut préserver la paix dans ses États alors que les régions voisines se déchiraient.

Site Babelio

Le rayonnement du prince Fébus est incommensurable. Tous connaissent son nom, il s’en vante d’ailleurs lui-même : « Chez les Sarrasins, les Juifs, les Chrétiens d’Espagne, de France, d’Angleterre, d’Allemagne et de Lombardie, en deçà et au-delà des mers, mon nom est connu ». Ce terme de « Fébus », est une référence probable à Appolon, dont le second nom est Phébus. Le Vicomte Gaston s’attribua lui-même ce nom (alors que les autres obtiennent leur surnom souvent bien après leur mort), et le gasconisa, remplaçant le « Ph » par le « F ». Fébus vient du mot grec « phoibos », celui qui brille, l’âme du monde, éternelle jeunesse et source de vie.

C’est sans compter la chevelure de Gaston, blonde comme le soleil, dont il fera d’ailleurs son emblème par la suite. Le Prince-Soleil, Gaston Fébus. La légende de Gaston s’articula autour de cette chevelure flamboyante. Il est dit que jamais Fébus ne couvrait sa tête, les cheveux toujours au vent, ce qui, à cette époque, était à la fois rare et fascinant. D’après les archives, c’est après 1358 que le compte de Foix se fit appeler Fébus. Sa devise, inébranlable : « Fébus avan ! »

La grandeur de Fébus ne passait pas inaperçue. Quelques rumeurs circulaient à son sujet. Un prince aussi flamboyant, si bon diplomate, au courant de tout ce qui se passait partout, ne pouvait qu’être doué pour la nécromancie. Les Béarnais pensaient qu’un esprit, dénommé Harton, informait Fébus de tout. Fébus sorcier, ayant passé un pacte avec le diable, cela pouvait expliquer son trésor, son incroyable talent à préserver le Béarn dans un temps de guerre et sa grande culture. Fébus connaissait certainement ses rumeurs et les entretenait. Elles contribuèrent à la légende de ce prince craint.

Fébus forge lui-même sa renommée. Mais il est également aidé par les chroniqueurs et poètes de l’époque, qui écrivent un véritable panégyrique : Bovet, du Bernis, Esquerrier, Juvénal des Ursins et surtout Froissart. Est-ce réellement pour chanter les louanges de ce prince hors normes ou simplement pour le flatter ? Quoi qu’il en soit, tous louent ce prince de génie, aussi beau qu’élégant, aussi brillant que craint. Dans son Voyage en Béarn, Froissure compte tout l’amour de ses sujets pour le prince béarnais. Il narre toujours ses aventures en des termes glorieux, prince habile, respecté, aimé et craint. Fébus accueillit Froissart avec beaucoup de diligence au château d’Orthez. Il connaissait son travail et lui montra le meilleur côté de sa vie. Fébus voulait que sa renommée dépasse les frontières, les chroniques de Froissart en étaient un excellent moyen. Quand il était à la cour de Fébus, Froissart découvrit un homme certes fastueux, mais surtout amoureux des arts et des lettres. Chaque soir, Froissart faisait lecture de son roman Méliador à un Fébus captivé par ses mots. Malgré toutes ses qualités, Fébus ne put cacher sa face sombre, celle de cet homme autoritaire que tous craignaient, celle de ses colères violentes et excessives, celle de cet homme meurtri par une absence de descendance. Pour autant, rares étaient les critiques négatives sur Fébus. Les auteurs parlaient plus aisément des qualités du prince. Et même s’il est probable que les récits et poèmes sur le vicomte relèvent de la fantaisie ou d’une réalité arrangée, ils donnent des indices sur la vie de Fébus. Des écrivains béarnais parlèrent aussi du vicomte : Miègeville, Pierre Olhagaray, par exemple.

Protecteur des arts et lettres, Fébus était également un ardent défenseur de la musique. Sa cour accueillit nombre de musiciens et était ouverte aux nouveautés. Fébus lui-même écrivit des cansos, dont la plus célèbre est chantée encore aujourd’hui, Aqueros Mountanhes. Cette chanson aurait été écrite par Fébus. Légende ou pas, les Béarnais la lui attribuent sans aucune hésitation. Elle parle d’un amour perdu, et surtout de son pays et de ses montagnes.

Fébus était un homme très cultivé. Dès son enfance, il montra un goût prononcé pour les livres. Sa bibliothèque était remplie de romans de chevalerie, de chroniques des croisades, des œuvres de Justinien, Tite-Live et d’autres auteurs antiques. Mais aussi, des livres scientifiques, politiques et des nouveautés littéraires. Fébus était au faîte de tout ce qui se passait au niveau culturel à l’époque. C’est ainsi que tout logiquement, en alliant ses deux passions, il en vint à écrire son propre livre : Le Livre de la Chasse.

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D’après Claudine Pailhès, spécialiste de Gaston Fébus

Le Livre de chasse, composé entre 1387 et 1389 par Gaston Fébus (1331-1391) n’est pas seulement un ouvrage de vénerie ou de cynégétique. Il dévoile la personnalité de Gaston Fébus et représente un réel intérêt littéraire, sans compter les magnifiques enluminures de l’ouvrage. Il a connu une grande postérité puisque François Ier lui-même en possédait un exemplaire dont on disait à l’époque qu’il était « le Père des Bonheurs ».

Le Livre de chasse fut d’ailleurs retrouvé sur le champ de bataille de Pavie, probablement emporté par un des proches de François Ier.

Le succès de ce livre passe par plusieurs points. D’abord, Gaston Fébus est un fin connaisseur de la chasse. Il chassait dans les forêts béarnaises, mais aussi dans les forêts parisiennes, lorsqu’il était convié par le roi. Il parcourait également les forêts norvégiennes et suédoises. Il a une parfaite connaissance de la nature (relative à la chasse) : les saisons, les températures, l’air, etc. Son Livre de chasse est aussi d’une clarté incroyable, d’une sobriété de ton inhabituelle pour ce type d’écrit, avec un regard critique conséquent.

Le récit est de plus très vivant, et surtout, Gaston Fébus y inclut des passages très personnels. Pour lui, la chasse est une réflexion sur l’appréhension du monde, au même titre que l’esprit ou l’amour. Le Livre de chasse n’est en fait pas un simple livre sur la chasse.

Froissart, invité par Gaston Fébus en Béarn, dit d’ailleurs du Livre de chasse qu’il « l’emporte sur tous en matière de livres ». À cette époque, Fébus est le seul prince-écrivain de son temps. Il écrit des cansos, dont la célèbre Aqueros Mountanhes, il traduit des livres scientifiques, écrit un livre religieux (le Livre des oraisons) et un livre de chasse.

Il est un homme de lettres, très curieux des arts et des choses de son temps, à la fois prince, écrivain et troubadour. S’il parle quotidiennement le béarnais, il connaît également le français et le latin. Voulant donner une grande dimension à son livre et espérant le voir dans toutes les cours d’Europe, il l’écrit en français.

Sa bibliothèque est très fournie : on y trouve les classiques de son temps, comme des ouvrages de droit et religieux. Elle est également constituée de textes de troubadours, d’ouvrages scientifiques tels des encyclopédies ou des livres de médecine, et surtout de livres d’actualité littéraire ou politique.

Le Livre de chasse donne de précieux indices sur la vie privée de Gaston Fébus. Fortement attaché à sa région, il parle souvent de « ses » montagnes, de souvenirs divers, mais surtout il y fait référence à un événement dramatique de sa vie : la mort de son fils. On ne sait pas si cette histoire est inventée par Fébus ou si elle a réellement existé. Mais la transposition avec sa propre histoire est aisée. Les peuples de Béarn et de Foix, très inquiets, se retrouvent sans héritiers. Mais pour Fébus, il vaut mieux priver un peuple de prince que de le laisser être dirigé par un héritier indigne.

Extrait du livre de la chasse – Musées Occitanie

Manuscrits et traductions de Livre de chasse, par Baudoin Van den Abeele, professeur à l’université catholique de Louvain-la-Neuve, chercheur qualifié du Centre national belge de la recherche scientifique.

Le Livre de chasse est un livre destiné aux princes. Il est donc très luxueux, les miniatures sont splendides et très travaillées. Le livre est dédicacé à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Il existe 46 manuscrits du Livre de chasse. Ils étaient possédés par les rois, comme Jean sans Peur, Charles le Téméraire, Philippe le Bon. Ce dernier possédait une version anglaise du livre. Les nobles voulaient également détenir le Livre de Fébus, mais à moindre coût. Il existe donc 14 manuscrits non enluminés.

Pour Gaston Fébus, les illustrations sont un complément du texte, elles l’agrémentent et renforcent ce que disent les mots. Il était prévu et indispensable d’insérer de grandes vignettes à son ouvrage.

La version en sa possession (BNF-fr-619) fait preuve d’une technique d’illustration pointue et précise. L’ouvrage n’est pas coloré, mais est bel et bien un livre achevé. La technique de dessin est en grisaille, Fébus l’utilise pour son propre compte. Cet exemplaire ainsi que celui de l’ermitage ont été réalisés sous la direction de Gaston Fébus.

Deux diffusions indirectes du livre ont été partiellement remaniées :

– Le Bon Varlet des Chiens, qui décortique la chasse du cerf et du sanglier sur 15 chapitres.
– Le Nouvelin de vénerie, de Louis de Gouvys.

Traductions

Il existe une traduction anglaise du Livre de chasse, faite par Edward de York, vers 1410 : Master of Game. C’est une traduction partielle, les chapitres ont été sélectionnés. La traduction italienne (récemment découverte) a été faite au début du XVIIe siècle, pour l’amiral de Castille, Juan Alfonso Enriquez de Cabrera, par Julio Castellon : Tratado de la montería. C’est une version quasi complète, il ne manque que quatre chapitres. Les illustrations n’ont pas été réalisées, mais l’espace pour les enluminures était marqué. À l’intérieur de ces cases figure une description du dessin à venir. Sur certaines pages, des gravures sont découpées et collées pour donner une idée du dessin.

Le rayonnement du Livre de chasse jusqu’au XVIIe siècle prouve l’incroyable intérêt des princes à son égard. Il reste aujourd’hui un livre précieux et primordial pour la compréhension des loisirs princiers du Moyen-Âge.

Fébus écrivit également un Livre des Oraisons (du moins, en partie). Ce livre de prières sous-entend un autre secret, jamais dévoilé, de la vie du prince. Il y parle d’un péché tragique et récurrent, dont au moins une autre personne est en cause. Ce ne peut donc être le « meurtre » de son fils. On peut imaginer une affaire de mœurs, un « péché de chair ». Quelques indices disséminés tendent à le laisser penser.

Fébus chassant le lièvre, miniature du Maître de Bedford, tirée du Livre de chasse, vers 1407, Paris, BnF, Fr.616, fo 89 vo.

On peut facilement imaginer le désœuvrement de Fébus à la fin de sa vie. Pas d’héritier, des intrigues incessantes pour tenter de faire reconnaître ses bâtards comme successeurs, ce lourd secret dont personne ne saura jamais rien. La lignée des comtes de Foix-Béarn se rompait pour la première fois. Tout le travail de sa vie allait partir aux mains du seul successeur possible, Mathieu de Castelbon, qu’il haïssait au plus haut point.

À 60 ans, Fébus n’avait toujours pas fait de testament. Cet homme fort, beau, à la chevelure de flammes, fut pris de court, par une belle journée de chasse du mois d’août 1391. Il eut un malaise en fin de journée, malaise qui lui fut fatal. Il mourut dans les bras de ses enfants.

Aussitôt, Yvain tenta de gagner le château d’Orthez pour mettre le trésor à l’abri. Les Béarnais comprirent que quelque chose était arrivé. Ils se mirent en alerte et protégèrent le trésor. Mathieu de Castelbon hérita de tout ce que possédait Fébus. Yvain obtint le minimum, mais aucun titre. Il mourut quelques années plus tard, au « bal des ardents ». Nuit funeste pendant laquelle, grimés en sauvages, le roi de France, Charles VI, et quelques compagnons (dont Yvain) prirent feu lors d’une fête costumée. Le roi fut sauvé, mais il sombra dans la folie. Froissart eut une pensée pour Fébus qui, dit-il, aurait été le plus malheureux des hommes s’il avait été encore en vie et avait appris la mort atroce de son fils tant aimé.

Gaston Fébus fut un prince respecté et craint. Il sut maintenir la neutralité et l’indépendance du Béarn en pleine guerre de Cent Ans. S’il fut un diplomate expert et un « chevalier » exemplaire, il ne put cacher sa face sombre. L’accident de la mort de son fils Gaston, ses colères dévastatrices et ce péché grave et inconnu. L’histoire retient pourtant de lui cet homme flamboyant, à la chevelure de feu, qui œuvra toute sa vie à préserver les Béarnais. Le Livre de la Chasse est aujourd’hui considéré comme une œuvre majeure de la littérature médiévale. Hommage éternel de ce comte qui fut le seul prince-écrivain de son époque.

Fébus écrivit également un Livre des Oraisons (du moins, en partie). Ce livre de prières sous-entend un autre secret, jamais dévoilé, de la vie du prince. Il y parle d’un péché tragique et récurrent, dont au moins une autre personne est en cause. Ce ne peut donc être la mort accidentelle de son fils. On peut imaginer une affaire de mœurs, un « péché de chair ». Quelques indices disséminés tendent à le laisser penser. D’autant qu’à la cour de Fébus, point de femmes. Ou tout du moins, aucune trace dans les archives de la cour.

Sources

  • Pailhès Claudine, Gaston Fébus, le prince et le diable, Paris, Perrin, 2007.
  • Béarn (de) Myriam et Gaston, Gaston Phébus, le lion des Pyrénées, Paris, J’ai lu, Livre de Poche, 1999.
  • Froissart Jean, Voyage en Béarn, Livre III, Chroniques, Biarritz, Atlantica, 2003.
  • Phébus Gaston, Le Livre de la Chasse, traduction en français moderne de Bossuat Robert et André, Escalquens, Éditions Philippe Lebaud/Oxus 1986.
  • Tucco-Chala Pierre, Petite histoire du Béarn, Cressé, Princi Negue Editour, 2000.