Les cagots

    Cette synthèse a été réalisée par Catherine Polycarpe.

    Les cagots firent partie d’une communauté à part, en grande partie rejetée et mise à l’index.

    Selon la croyance populaire à travers les siècles, les cagots :
    – Se distinguent par la forme de l’oreille : ronde, petite et dépourvue de lobe,
    – Exhalent une odeur repoussante, sueur nauséabonde et haleine fétide,
    – Sont lubriques, d’une paillardise redoutable, accusés de « crimes de lèse-nature »,
    – Sont atteints de goitre et de crétinisme,
    – Peuvent transmettre la lèpre (longtemps considérée comme héréditaire).

    Ils furent longtemps assignés à résider hors des villages. Ils ne pouvaient exercer que les métiers du bois (seul matériau qui ne transmet pas la lèpre). Il leur était interdit de porter une arme, exception faite de la hache (il faut bien couper le bois et abattre les arbres). Il leur était interdit de marcher pieds nus. Dans certaines villes, ils devaient porter sur leurs vêtements une marque rouge en forme de pied d’oie. Ils n’avaient pas le droit de toucher la nourriture ni d’entrer dans une auberge ou un moulin.

    Quand l’église ne leur était pas interdite, ils pouvaient y entrer par une porte basse située au nord, avaient leur propre bénitier et ne pouvaient se placer qu’au fond de l’église (voir l’église de Monein). Ils communiaient à une table de communion particulière. L’hostie leur était présentée au bout d’un bâton. Ils étaient baptisés le soir, à la tombée de la nuit. Les sacrements aux mourants étaient donnés avec beaucoup de réticences. Ils étaient d’ailleurs enterrés hors du cimetière commun. Bien sûr, ils ne pouvaient se marier qu’entre eux.

    Ce phénomène s’est étendu autour des Pyrénées : au nord, dans le triangle formé par les montagnes et l’Adour, avec au-delà quelques manifestations circonscrites par la Garonne et au sud, où ils sont mentionnés essentiellement en Navarre et dans Haut-Aragon.

    Des historiens se sont penchés sur les quelques documents qu’ils ont pu récupérer : des actes officiels (pour les époques les plus reculées), des actes notariés et registres paroissiaux (qui ont permis d’appréhender leur vie quotidienne), des rendus des Parlements de Justice, des édits royaux ainsi qu’une bulle papale.

    Francisque-Michel, Histoire des races maudites de la France et de l’Espagne (1ere éd. 1847).

    L’histoire des Cagots s’est inscrite au fil des siècles. En voici quelques éléments.

    Première référence vers l’an mil à un Chrestiaa (nom primitif rencontré) dans une charte du cartulaire de l’abbaye de Saint Vincent de Lucq-de-Béarn. Un certain Auriol Donnat fait un don à l’abbaye. Manifestement la communauté autour de Lucq aura beaucoup de droits. Plusieurs documents l’attesteront par la suite.

    En 1379, le vicomte Gaston Fébus, représenté par un notaire, signe un contrat avec un groupe de 88 chrestiaa béarnais pour les travaux de charpente du nouveau château de Montaner. Certains historiens voient là un groupe constitué comme une corporation à l’échelle du pays. Fébus permet aux cagots de circuler en Béarn sans subir insultes ni agressions et d’être rémunérés pour leurs travaux.

    En 1383, Guy de Chauliac détermine les signes qui permettent de distinguer un lépreux d’un cagot qui n’est, selon lui, atteint que de la lèpre blanche.

    En 1471, un village béarnais rappelle à une famille de Chrestiaa ses obligations selon l’antique coutume : ne pas travailler la terre, vivre de leur profession de charpentier, marcher chaussés, ne pas entrer dans le moulin public, apporter les récipients dans lesquels ils boiront s’ils partent travailler en ville, n’utiliser que leurs propres fontaines et lavoirs, ne pas danser avec les autres villageois.

    En 1514, les cagots espagnols de Navarre, de Jaca et Huesca en Haut-Aragon, de Bayonne, de Dax, soit plus de 200 cosignataires, adressent au pape Léon X une supplique où ils se plaignent de leur condition. Accusés du fait que leurs aïeux aient prêté main-forte au Comte Raymond de Toulouse contre la Croisade des Albigeois, on leur interdit la pratique religieuse dans la communauté. Le Pape répond en 1515, par l’ouverture d’une enquête qui confirmera quatre ans plus tard les dires des plaignants, d’où une bulle papale prenant fait et cause pour eux, sans trop d’effet semble-t-il.

    En 1524, Charles Quint rend une ordonnance favorable aux cagots, mais au quotidien rien ne change.

    En 1551, les Fors promulgués par Henri II de Béarn comportent deux articles consacrés aux cagots. Ils résument et rappellent les interdictions antérieures.

    En 1568, selon Ambroise Paré, les particularités des cagots sont l’haleine fétide et le fait qu’une pomme qu’ils tiennent en main pendant une heure se dessèche plus vite qu’en huit jours au soleil.

    En 1573, dans les registres des Jurades de Bordeaux est mentionnée (pour la première fois, semble-t-il) l’obligation du port du tissu rouge. Les cagots y sont assimilés à des lépreux.

    En 1600, après des examens médicaux effectués sur des cagots, deux professeurs de médecine de l’Université de Toulouse et deux chirurgiens concluent qu’ils ne sont pas porteurs de la lèpre. Même conclusion à Bordeaux.

    En 1642, les cagots du Béarn en appellent au roi de France, Louis XIII, mais les lettres de patente royales ne seront pas enregistrées.

    En 1683, l’Intendant Dubois de Baillet fait établir un mémoire historique sur les péripéties des cagots. Le roi Louis XIV fait édicter des lettres patentes pour l’affranchissement des cagots moyennant deux louis par personne, ce qui rapportera 50 000 livres à la couronne. Quand on sait que Louis XIV avait besoin d’argent, on ne peut qu’apprécier le contenu de ces lettres :

    « Louis, par la grâce de Dieu roy de France et de Navarre (…) la liberté ayant toujours été l’apanage de ce royaume et un des principaux avantages de nos sujets, l’esclavage et tout ce qui pourrait en donner des marques ayant été banni, nous avons appris avec peine qu’il en reste encore quelques marques dans notre royaume de Navarre (suivent les mentions de quelques lieux) dans lesquels il y a une certaine classe de gens qui y sont considérés en quelque manière comme des esclaves, étant assujettis à certains services, attachés à suivre une même profession, séparés du commerce des autres hommes, lesquels sont connus sous les noms de christians, agots, cagots, capots … »

    Avec Louis XIV, les cagots achètent leur liberté comme s’ils avaient été esclaves. Au niveau quotidien, rien ne change, hormis le fait qu’ils peuvent plus facilement aller en justice et même gagner des procès. Beaucoup de comptes rendus des divers parlements de la région le prouvent. Sur les registres paroissiaux, l’indication chrestiaa ou cagot disparaît, remplacée par celle de charpentier.

    Comme l’écrit Osmin Ricau en 1963 :

    « Au village rien ne fut changé. Au point que lorsque la Patrie en danger réclama des volontaires, partout dans nos campagnes les cagots furent désignés d’office et partirent les premiers. Ce départ fut capital, car au cours des campagnes de la Révolution et de l’Empire, ils se trouvèrent toujours et partout vraiment et totalement dépaysés : nulle part ils ne furent traités comme des maudits, et nulle part ils ne trouvèrent des hommes traités comme ils l’étaient dans leur pays natal. Personne ne leur demandait s’ils étaient cagots dans les rangs de l’armée. (…) L’émigration joua aussi un rôle capital dans l’émancipation des cagots. (…) L’instruction se répandait, rendant le peuple plus réceptif à des idées nouvelles. (…) Le racisme cagot ne pouvait vivre et prospérer qu’en vase clos. On le vit dès lors peu à peu dépérir. »

    Pour leurs recherches, les historiens s’appuient sur les rares documents dont ils disposent, essentiellement les registres paroissiaux. Ils ont mis en évidence le fait que pour éviter les mariages consanguins, le jeune cagot quittait le village et s’expatriait. Autre fait : on ne retrouve aucune incidence du protestantisme sur la vie des cagots. Cependant, dans quelques villages, le cimetière protestant et le cimetière cagot se mêlent.

    Église abbatiale de Saint-Savin, bénitier de cagots – Communes.com

    Nous n’avons que très peu d’éléments sur les origines de la communauté des cagots, mais plutôt des hypothèses, parmi lesquelles ils seraient :

    1. Des descendants des Wisigoths. Installés en Languedoc au Vesiècle, les Wisigoths ont été refoulés vers l’Espagne par Clovis. Les groupes rescapés auraient été surnommés « Can de Goth » chiens de Goth. Pourtant, il n’y a rien avant l’an mil. C’est le terme Chrestiaa qui existe, celui de cagot n’apparaissant qu’au XIVesiècle.
    2. Des descendants des Sarrasins ou des Hispaniques les Sarrasins et Poitiers en 732, Charlemagne et Roland à Roncevaux en 778. Ils seraient remontés dans leur retraite avec leurs alliés.
    3. Des descendants des Cathares : on s’appuie sur la supplique envoyée au pape Léon X en 1514. Or, l’hérésie n’est pas connue avant le XIesiècle et ne s’est implantée ni en Gascogne ni en Béarn, zone des cagots.
    4. Des descendants de communautés juives. L’existence de colonies juives est attestée dès le début du Moyen-Âge mais elles étaient peu nombreuses, plutôt urbaines alors que les communautés de cagots étaient nombreuses et plutôt rurales. Cet ostracisme serait lié à une région pauvre, isolée et arriérée, mais le Béarn fut un pays d’échanges commerciaux, de passage, (les chemins de Compostelle), avec des souverains très fins politiques.
    5. Des descendants de familles de lépreux : la lèpre serait apparue très tôt en Occident. Il en est fait mention au VIesiècle. Le lépreux est exclu de la communauté : après une cérémonie correspondant à ses funérailles, il doit habiter hors du village. La lèpre est considérée comme héréditaire ; c’est un châtiment céleste car on fait référence à la Bible où Gézi et sa descendance sont maudits par le prophète Elisée. Certaines maladies de peau pouvaient être prises pour la lèpre. Il y avait la lèpre rouge et la lèpre blanche (moins grave et moins handicapante). Les termes « gézites » ou « gesitains » comme sont parfois utilisés comme « ladre ». En revanche, le langage populaire utilisait chrestiaa ou cagot. Plusieurs historiens ont travaillé et travaillent sur les sites des cagoteries et des léproseries, cherchant leurs liens possibles.
    6. Dernière hypothèse, les cagots seraient tributaires d’un lourd secret : ils sont les enfants de Maître Jacques, tailleur de pierre, qui fut assassiné par des « œuvriers » du Père Soubise, maître charpentier. D’où les rivalités entre les différents compagnons, tout cela avec le monastère de Cluny qui a pour mission de porter en Occident un projet « chrétien et roman », Saint Jacques le Majeur camouflant Maître Jacques. Le chemin de Saint Jacques serait une reprise de l’ancien chemin des étoiles qui serait connu dès le Néolithique.

    Famille de cagots – Hagetmau.fr

    Gilbert Loubès :

    « La naissance du mépris anticagot trouva un allié trop naturel dans les lois de la psychologie humaine, individuelle et collective. On s’affirme mieux dans sa normalité en se comparant à l’exclu. Pour se valoriser soi-même, on attribue à l’autre des handicaps et des anomalies, vraies ou supposées, pour bien marquer la différence. Il n’y a pas de catégorie sociale qui n’agisse de la sorte, toute société fabrique ses cagots. »

    Osmin Ricau :

    « Gascons, Béarnais, Basques et Navarrais d’Espagne ou de France, Asturiens et Léonais, nos provinces ont connu le racisme cagot. Que les gens d’ailleurs n’en tirent pas des conclusions prématurées : l’histoire et la géographie en sont la seule cause, l’homme ici et là n’est ni meilleur ni pire, mais le même partout. »

    Sources

    • Darrigrand Yves, Orthez médiéval, des Moncade à Fébus, Biarritz, J&D éditions, 1992.
    • Descazeaux René, Les cagots, histoire d’un secret, Cressé, Éditions PyréMonde Princi Neguer, 2002.
    • Francisque Michel, Histoire des races maudites de la France et de l’Espagne, (1847) Cressé, Éditions PyréMonde Princi Negue, 2014-2016.
    • Guerreau  Alain, Guy Yves, Les cagots du Béarn, recherches sur le développement inégal au sein du système féodal européen, Paris, Éds Minerve 1988.
    • Loubès Gilbert, L’énigme des cagots, histoire d’une exclusion, Bordeaux, Éditions Sud-Ouest, 2006.