Souvenirs de la Palombe bleue
Le train de nuit reliant Paris aux départements des Pyrénées-Atlantiques et des Hautes-Pyrénées sera bientôt de retour. Il s’arrêtera à Tarbes, avec un prolongement vers Hendaye ou Pau seulement l’été. C’est du moins ce qui est prévu pour l’instant.
Le précédent, qui a cessé de fonctionner en 2017, s’appelait La Palombe bleue. Il a permis bien des liens entre le sud-ouest et Paris, toute l’année !
Drôle de nom pour un train de nuit… Celui d’un oiseau migrateur ! Rapprochement avec l’exode (choisi ou subi, c’est selon) des jeunes Béarnais, Basques et Bigourdans partis chercher du travail plus au nord vers des cités pourvoyeuses d’emplois comme Bordeaux et Paris, souvent premières affectations des concours nationaux (Postes, EDF, Éducation nationale…). Mais les comparaisons s’arrêtent là lorsque l’on constate que les palombes migrent vers le sud de l’Espagne ou du Portugal à l’automne, alors que la recherche ou la prise d’emploi se font vers le nord aux premiers jours de septembre…
À moins que ce ne soit un hommage au mythe de la cabane, la fameuse palombière, celle des casse-croûte gourmands entre hommes !
Et vous, quelles sont vos expériences de voyage ? Racontez-nous en récits, photos, chansons ou dessins, ce qui constitue votre histoire du train de nuit.
Vos souvenirs pour une renaissance, et la boucle sera bouclée…
En voici déjà trois, ceux de Catherine, Alexandre et André.
Histoires de rencontres ferroviaires, Alexandre Cazères et Jean-Pierre Cazala (occitan)
La Palombe bleue c’est pour moi une suite de rencontres improbables dont j’ai oublié les dates mais conservé l’intensité et la particularité. Bien sûr j’aurais pu rencontrer ces personnes connues ou pas, dans la rue ou ailleurs, je pense néanmoins que leur originalité devait tout à l’environnement roulant dans le couloir étroit du train avec le paysage ou très souvent les lumières des villes et villages qui s’apprêtent à se dépouiller pour la nuit ! Et les ‘’pardon Monsieur ou Madame’’ dus aux croisements difficiles dans le couloir… À noter que ceux-ci n’étaient pas encore envahis par les téléphones portables, même s’ils venaient mettre à mal le caractère collectif des échanges.
La plus ancienne est sans doute celle de mon cousin André B. qui habite maintenant le sud côtier des Landes. Il est à peine plus âgé que moi (3 ans environ). Avec la particularité de ne pas nous rechercher, mais lorsque l’on se croise (par hasard ou le plus souvent lors d’évènements familiaux – maintenant les obsèques) c’est à fond que nous nous livrons. Et ce jour-là, vraisemblablement en 1972, il se rendait à Paris et moi à Bourges via Tours où j’ai enseigné pendant un an et demi, juste avant mon service militaire. Cela devait être la fin des vacances scolaires de printemps… Nous avons tellement parlé que nous étions encore à tchatcher, lorsque la gare arriva un peu en trombe. Soit nous n’avions pas entendu l’annonce de l’arrêt au micro, soit celui-ci était en panne. Les adieux se firent à la volée mais surtout très vite je m‘aperçus que j’avais oublié un sac de voyage dans le train… Avec mon portefeuille ! Vous imaginez la suite ! Pas de portable à l’époque, mais nous venions juste d’échanger nos numéros de fixe dans le train… Moralité : vous savez désormais que je suis bavard et un peu étourdi !
Plus tard, vers 2010, c’est en sens inverse à Austerlitz que je côtoyais Marie-Noëlle, ma voisine béarnaise, deuxième des quatre filles de la ferme jouxtant la maison familiale. Nous nous étions perdus de vue, elle du côté de Pau et moi en région parisienne. Je la savais très engagée dans la vie avec des convictions très militantes écolo libertaires avec son ex-mari, organisateur de spectacles et d’aides solidaires. Elle revenait d’un traitement lourd qui l’opposait à un cancer très agressif. Elle était l’admiration du village pour son courage, sa ténacité et sa bienveillance. Élevant ses enfants dans les valeurs qu’elle vivait au quotidien, prenant en charge sa mère, agricultrice devenue veuve, qu’elle avait installée avec succès dans un appartement à Pau ! La nuit avait été courte ! Nous avions dû plusieurs fois mettre la sourdine à nos propos à la demande des voyageurs voisins. Un immense souvenir car c’était la dernière fois que nous échangions. Son décès fut une énorme surprise pour moi. Partir à quelque 55 ans, ce n’est ni juste ni dans l’ordre des choses.
Quelques années plus tard, départ de Pau un dimanche soir comme souvent après un séjour dans la maison familiale. Dans le même wagon, un professionnel de la télévision, producteur de films documentaires et de fiction. Il rentre de Tardets en Soule d’où est originaire la famille de sa mère. Il vient de vivre une cousinade préparatoire à une grande fête familiale qui a lieu tous les cinq ans avec une randonnée, plusieurs repas animés, un tournoi de tennis, un autre de pelote (pelote basque bien sûr, ce n’est pas une belote), etc. et du coup, nous nous sommes mis à échanger sur nos familles et nos histoires personnelles. Je savais sa femme architecte de renom – elle a obtenu l’Équerre d’argent pour la très réussie médiathèque d’Oloron, à la confluence des gaves. Lui-même venait de tourner un film avec un personnage remarquable originaire du même village qu’elle : Bescat en Béarn. C’était Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, le fameux Caracala… Ici la Palombe bleue jouera le rôle de lieu de conclusion des affaires, puisque nous évoquerons plusieurs films possibles – notamment un « Pierre Bourdieu produit de sa terre », ou « Jacques Delors parmi les siens à Trois-Villes » que nous ne réussirons pas à « monter », contrairement au film sur la Nueve, le premier régiment espagnol à entrer dans Paris le 15 août 1944, que les faussaires s’ingénieront très vite à débaptiser sur les photos et les récits officiels… Et lors de la rédaction de ce souvenir je découvre que son cousin fut scénariste de renom avec Jacques Audiard en particulier, plusieurs fois césarisé…
Autre rencontre mémorable mais très courte, celle de M. Jean Lassalle, notre député qui prenait le train de nuit du dimanche soir à Pau. Il se pavanait comme à l’accoutumée dans le hall de gare, enveloppant de larges accolades les unes et les autres… à la manière du toca-manetas* palois (surnom de M. André Labarrère, l’illustre lointain prédécesseur de M. François Bayrou à la mairie de Pau). Un peu irrité par ce manège singulier et démagogique, je me suis approché de lui, l’ai salué d’un sonore « adishatz Moussu lou députat », le tout en rejoignant au pas de course l’emplacement imparti sur les places de mon billet. Et lui de grommeler « Adishatz mossur, que’m coneishetz ? quin vos aperatz ? ça-vietz dab jo, que vam discutir ». Je préférai le roulis du train qui a eu très vite raison de mon intransigeance… Nous avons dû nous perdre de vue au petit matin des brumes de la gare d’Austerlitz.
*- toca-manetas : serre-paluches ou serre-mains
– Adishatz Moussu lou députat : Bonjour Monsieur le député
– Adishatz mossur, que’m coneishetz ? Bonjour Monsieur, vous me connaissez ?
– Quin vos aperatz ? ça-vietz dab jo, que vam discutir : comment vous appelez-vous ? Venez avec moi, nous allons discuter.
Le chat sur la couchette, Catherine Polycarpe
J’ai longtemps pris la Palombe bleue à la gare de Paris-Austerlitz vers Orthez et dans l’autre sens. J’arrivais en gare d’Orthez vers 6 ou 7 heures le matin.
Je prenais un lit en T3-femmes, la place la plus haute. Souvent la dame pouvait être accompagnée d’un petit enfant. Moi c’était mon chat Minet. Nous arrivions assez tôt pour être les premiers dans le compartiment. Je m’asseyais sur le lit et Minet regardait les gens qui passaient sur le quai et dans le couloir. Je devais rassurer parfois la dame qui, venant d’entrer dans le compartiment, était surprise par un matou au-dessus de sa tête.
Pendant la nuit Minet explorait un moment les bagages puis s’endormait en occupant le maximum du lit.
Le matin l’agent responsable du wagon nous appelait et nous donnait un petit-déjeuner. Minet prenait sa part en se délectant de la petite portion de crème de lait qui accompagnait le café.
Il m’est arrivé de ne pas pouvoir obtenir une place en T3, alors je prenais une couchette « normale » (6 couchettes par compartiment). Beaucoup de personnes travaillaient la semaine à Paris mais passaient les week-ends au pays. Elles réservaient leurs couchettes longtemps à l’avance. Inutile de dire que l’on ne passait pas sa nuit à discuter. À la sortie de Paris c’était extinction de la lumière. Une personne avait son propre sac de couchage. Le contrôleur la connaissait et ne la contrôlait plus.
Voilà une première lancée sur mon expérience de la Palombe.
Arrivée à Pau, André Delpont
Quand Mamy passait ses vacances scolaires chez nous au début des années soixante, en juillet, avant le sacro-saint mois d’août de congés de papa, ça faisait trop de monde dans la 403 familiale pour rentrer à Pau. Et comme j’étais le chouchou, je prenais avec elle le train de nuit, la Palombe bleue donc. Cela m’a ainsi évité quelques cauchemardesques jours de départ avec le stress maternel : grains de poivre dans les tapis, nettoyage à fond qui aurait pu se faire n’importe quand, etc.
Papa nous accompagnait à la gare d’Austerlitz. On avait des petits tickets en carton épais de couleur rose, de la taille d’un ticket de métro parisien qu’il fallait valider au bout du quai.
On s’endormait avant Orléans. Vers 4 ou 5 heures du matin, on était réveillés par le cliquetis des roues des bogies sur le pont de la Garonne et surtout le tonitruant « Bordeaux Saing Jeang ! 15 minutes d’arrêt !« . Ce pont a été désaffecté au profit de celui construit pour le TGV. Il a échappé de peu à la destruction suite à l’intervention des descendants de Gustave Eiffel. Et l’annonce de l’arrivée à Bordeaux est malheureusement tout à fait aseptisée désormais.
Après, on replongeait dans un demi-sommeil pour traverser les Landes, et vers 7 heures et des pouces, effectivement, on entendait le fameux « Puyoo », déclamé en deux tons, une brève – une longue, et on savait qu’il allait falloir se boucher les narines pour la traversée de la zone gazière aux senteurs soufrées d’œuf pourri.
On finissait par arriver en gare de Pau en début de matinée. On admirait les palmiers et le funiculaire et on montait dans le taxi de Monsieur Barraquet pour rejoindre le 5 place Clémenceau. Une fois installés, on ressortait manger un gâteau basque au Palais des Pyrénées chez Lamazou. Et on attendait l’arrivée du reste de la famille.
L’histoire n’est pas finie. Comme vous le savez, j’ai fini ma carrière à réaménager le quartier autour de la gare Saint-Jean de Bordeaux avec le projet Euratlantique. En parallèle du pont du Guit, qui passe au-dessus des voies et relie le quartier Sacré Coeur de nos cousines à celui de Belcier, qui longe la Garonne, on en a construit un deuxième un peu plus loin pour tenter de fluidifier la circulation. Un beau jour, se tient une réunion pour lui donner un nom de baptême. Il y avait là la commission de viographie de la ville, des habitants du quartier, des représentants de la SNCF, votre serviteur et quelques collègues, sans oublier la très sympathique maire de quartier Émilie Kuziew (d’origine polonaise). Les propositions de nom défilent sans déclencher l’enthousiasme. On repousse le plus poliment possible les demandes de la CGT ferroviaire : honorer des résistants communistes. Mais soudain la solution surgit de la bouche de la responsable de communication de la SNCF : « En termes d’identité ferroviaire, vous savez que le train qui passait là s’appelait « La Palombe bleue ? » Je saute sur l’occasion et propose qu’on retienne l’appellation « Pont de la Palombe ». Ainsi fut fait, proposé et voté par le conseil municipal.
À quelque temps de là, Alain Juppé, Landais pur beurre, (ou plutôt pure graisse de confit), vient lancer les travaux du pont. Et il nous déclare : « Ce nom de pont de la Palombe est tout à fait bien venu, positionné qu’il est à côté du Pont du Guit, qui vous le savez signifie le canard en gascon ! »
Bon voyage dans la Palombe bleue (qui vient de ressusciter à l’initiative d’un Premier ministre gascon, marié à une Catalane) et bon passage sous le pont du Guit et celui de la Palombe !