La sorcellerie en Béarn

La mythologie béarnaise est en accord avec son territoire : montagnes et forêts. Les lieux de prédilection de la sorcellerie en Béarn sont Ogeu (près d’Oloron), Marcerin (près d’Orthez), Sauvagnon (près de Pau), Arudy, Lucq et Arette. Les cromlechs des « Couraus de Houndaas » près de Bilhères et la Peyre Trouette dans la vallée de Ferrières sont, eux, les lieux privilégiés des rassemblements de sorciers. Mais lors des nuits de sabbat, le diable a sa préférence pour les ponts. A Salies, par exemple, le pont d’Abise-t-y était réputé pour l’organisation des sabbats. La légende dit que le pont d’Orthez aurait été bâti avec l’aide du diable.

Monstres errant notamment la nuit, les croyances prêtent une personnalité terrifiante aux animaux, comme cet escargot monstrueux, le « carcolh », qui hante les régions souterraines du Béarn et des Landes. Dans la panorama lando-béarnais, on compte aussi les fantômes et esprits comme la Daune Blanque, le Houlet (esprit des eaux), les Marmuques (ombres volantes), les candeles (feux follets) ou encore les croque-mitaines, dévoreurs d’enfants, comme la « came crude » (sorte de vampire) et le « gnangnan pehut » (sorte de bête poilue).

Dans ses chroniques, Froissart raconte l’histoire du farfadet Orton. Ce dernier fournissait en renseignements politiques les puissants du royaume jusqu’à ce qu’ils veuillent connaître son identité. Après cela, on n’en entendit plus jamais parler.

Dans ce contexte, l’apparition des sorcières paraît être une suite logique. Détentrices de pouvoirs ou alchimistes, elles font régner un climat de peur dans les villages béarnais.

La plus ancienne trace d’un procès en sorcellerie en Béarn date de 1393. Elle concerne Mariole du Colom, à Lucq, accusée d’être une posoère (ancien nom béarnais de la sorcière). Elle est acquittée grâce au témoignage d’amis. Amis qui se portent garants d’elle. Si les preuves sont faibles, l’accusée à droit à la liberté conditionnelle. Les accusées avaient cette possibilité d’échapper à leur peine à condition que plusieurs personnes de leur entourage (famille ou amis) prennent la responsabilité de leur liberté. En 1489, une vague d’accusations fait rage à Bougarber. Plusieurs femmes sont accusées, parmi lesquelles Bertane de Marcader, Audina de Lacoste ou Bernardine de Briole. Toutes sont relâchées grâce à l’intervention de leurs proches, garants. Audin de Mimbiela n’a pas la même chance. Quatre ans plus tard, le verdict tombe : exil. Après 200 jours en prison, elle est contrainte de quitter les terres béarnaises. En 1503 et 1508, ce sont deux jurats qui s’engagent pour trois femmes à Salies.

Une posoère est donc une sorcière. Le mot viendrait de « posons », poisons, ce qui fait de la sorcière une spécialiste des poisons. Par la suite et jusqu’à aujourd’hui, les sorcières béarnaises sont appelées brouches. L’empoisonnement, et plus largement la fabrication de poudres et potions, sont largement condamnés à cette époque. En 1592, à Oloron, deux procès ont lieu pour sorcellerie et empoisonnement. Les plantes faisaient traditionnellement partie de la pharmacopée des femmes à cette époque. Mais en cas d’accusation, il était facile de prouver que certaines plantes avaient des pouvoirs hallucinatoires : belladone, jusquiame, etc.

Un peu plus tard, en 1600, on trouve dans un document de la baronnie de Lantabat une note au sujet du « mal de layrar », qui pourrait être l’équivalent de l’épilepsie. Johanne de Larrando est accusée d’avoir contaminé trois femmes du village d’Iholdy, simplement en les touchant. Quelques temps plus tard, elle les guérira elle-même avec un peu d’eau.

Mais la sorcière béarnaise ne se limite pas à cela. Si elle s’en prend à l’humain, elle lance aussi des ensorcellements sur le bétail et surtout, provoque des catastrophes naturelles. En pays montagneux, la météo peut vite changer. Quand la grêle dévaste terres et récoltes, comment ne pas y voir l’œuvre des sorcières. Remède conjuratoire, outre sonner les cloches de l’église, il faut prendre trois grêlons et les jeter au feu.

En Béarn, aucun acte de sorcellerie n’est clairement défini. Toujours très vague. La chasse aux sorcières paraît être une solution aux problèmes de société, doublé d’un antiféminisme accru. La proportion de sorcières en regard des sorciers est énorme. Pour autant, la plupart des accusations en Béarn sont faites par des femmes. Au pays, à cette époque, la femme est au cœur de la société. Elle est la garante de l’ordre familial, elle établit les relations sociales et commerciales (achats et ventes sur les marchés) et communiquent leurs secrets culinaires ou médicaux. Une fille aînée peut très bien hériter de ses parents. Au XVIIème siècle, la courbe s’inverse. Les femmes sont moins accusées, les hommes beaucoup plus. Surtout, une nouvelle catégorie de sorciers apparaît : les enfants et adolescents.

Dans un premier temps, les dénonciations en sorcellerie se font dans les classes moyennes, pour peu à peu gagner du terrain dans les classes plus pauvres. Les accusateurs sont souvent d’un niveau social inférieur aux accusées, ce qui donne une idée des conflits sociaux présents à l’époque. Une idée reçue nous donne une image de la sorcière vieille, courbée et pleine de verrues. En Béarn, il n’en est rien. La majorité des accusées sont jeunes, mais souvent elles sont des femmes isolées, veuves ou célibataires.

En plus des femmes, il y eut des victimes collatérales :
– Les étrangers : basque en Béarn ou béarnais dans les Landes, un non-natif était immédiatement soupçonné.
– Les bohémiens : leur réputation fait d’eux des voleurs, des magiciens ou des mercenaires. En 1605, les États de Béarn réclament leur expulsion de la vicomté, en dressant une liste impressionnante des méfaits qu’on leur prête. Et notamment, l’art magique, autrement dit la divination.
– Les cagots : marginaux pourtant intégrés à la vie sociale béarnaise. Les béarnais leur donnent un statut spécial et les écarte tant que possible.

D’une manière générale, les sorcières sont jugées par des tribunaux d’ordre inférieur (Bougarber, Salies, Nabas et Oloron) ou par la chambre criminelle du conseil souverain (qui devint Parlement de Navarre par la suite). Le Béarn se démarque des régions alentour en créant deux institutions capables de répondre aux accusations de sorcellerie : les commissaires spéciaux et les députés élus par les villages.

Les commissaires spéciaux (Jean du Freixo, de Denguin par exemple) sont nommés par le pouvoir, dont les missions sont : enquêter d’après les accusations sociales, interroger les témoins, établir un libelle accusatoire et remettre le dossier à la justice locale. L’accusée était entendue mais si elle niait l’accusation et que le libelle était insuffisant, elle était relaxée. Ce fut le cas de Marie de Moncuc, d’Arthez, en 1489. Au même moment, une autre arthézienne, Audine de Mimbielle, est convaincue de sorcellerie. Elle est bannie à perpétuité.

Les députés sont élus par les communautés villageoises. Leur rôle est plus limité, ils doivent rechercher et poursuivre les sorciers sur leur territoire. Ce système est en place dès 1575 à Buzy. Les chasseurs de sorcières appuyaient les suspicions sur un texte primordial de l’époque, le Malleus Maleficarum (Le Marteau des Sorcières), de Sprenger, en 1486. Il est une sorte de manuel de chasse aux sorcières.

Malheureusement, ces institutions ne sont pas parfaites. Certains commissaires voient là un moyen de s’enrichir. Contre la liberté conditionnelle des soi-disant sorcières, la famille peut payer une caution. Il n’y a plus qu’à sillonner la région et accuser la première venue. La vicomtesse souhaite rétablir rapidement la justice. Elle met en place un décret de prise de corps contre eux. Les calomnies vont s’estomper. D’ailleurs, l’accusateur lui aussi prenait un risque. Si la sorcière était convaincue d’innocence, il devenait diffamateur. Rien n’était sans conséquence dans la justice de l’époque.

A la fin du XVIème siècle, les États obtiennent auprès de la vicomtesse de recréer le système de commissaires. Cette fois, leurs missions sont allégées, ils ne sont élus que pour une année et partent en binôme. Seule la chambre criminelle, à qui ils rendent leur rapport, prononce les verdicts.

Une fois la sorcière démasquée, plusieurs étapes s’organisent avant le procès. D’abord, une recherche de la marque du diable, car d’après les autorités, cette marque se trouve nécessairement sur le corps des sorcières. Ensuite, elles sont soumises à la question, autrement dit torturées. Lors de ces tortures, le corps est mis à rude épreuve. Il en découlait des réactions nerveuses normales : crises, contracture du corps, perte de parole, etc. Souvent, elles incriminent davantage la soi-disant sorcière, les accusateurs voyant là autant de signes de sorcellerie.

Après le procès, les peines sont immédiatement exécutées. Elles sont multiples, graduellement :
– acquittement (qui porte le nom d’élargissement). Sur 260 accusées durant cette période, 25 femmes sont acquittées.
– Amende honorable : peu d’accusée ont pu en bénéficier.
– Bannissement : provisoire ou à perpétuité.
– Bûcher : individuel en Béarn. Le spectacle attire plusieurs centaines de béarnais.

Dans la région de Lucq, la religion s’est mêlée à la chasse aux sorcières. En 1608, l’ordre des Barnabites réprimande avec violence tous les possédés. En Béarn, on connaissait bien les « sorcières de Lucq », expression devenue proverbiale. Le père Olgiati, barnabite, assimile les coutumes et découvrent un remède au mal de layrar. Remède qui utilise les mêmes ingrédients que la sorcellerie. Ainsi, tout le monde joue sur le même tableau. Les barnabites repoussent la sorcellerie en empiétant sur leur terrain, rassurant la population contre les maléfices.

En 1662, le Béarn connaît une période tendue. A Salies notamment, la contestation est violente. C’est dans ce climat que le jeune Hugon entre en jeu et affirme avoir le pouvoir de dénicher les sorcières, simplement en soufflant sur les yeux d’une personne. En réalité un imposteur, comme il y en eu beaucoup par la suite. Il faut dire que le filon est une aubaine. La chasse aux sorcières fait rage, il est facile d’user de la crédulité de la population. Jean-Jacques Bacqué suit les traces de Hugon. Lui aussi a le don de reconnaître les sorciers. Il parvient à se faire nommer commissaire par le Parlement de Pau et sillonne le Béarn. Sur les trente villages qu’il visite, il constate pas moins de 6 210 sorciers, soit plus de 200 par communautés. Dans le seul village de Lahourcade, il accuse plus de la moitié de la population (195 personnes). Voyant les désastres économiques provoqués par Bacqué, le royaume décide son arrestation. L’issue du procès n’est pas connu, mais il rejoint Hugon à la prison de la Bastille.

Ce qui est intéressant dans l’histoire de Bacqué, c’est de voir comment la croyance en la sorcellerie évolue. Auparavant, une intervention médicale était nécessaire pour trouver la marque du diable sur la sorcière. Après Bacqué, il suffit d’un pouvoir surnaturel, finalement identique à celui des accusés, pour identifier les sorcières d’un simple regard. Les villages peuvent désormais faire appel à des exorcistes.

La foule se presse pour assister aux exorcismes. En 1726, à Labastide-Céseracq, le curé de Germenaud exorcise une femme du village, contre salaire. Représentation théâtrale impressionnante, il empoche l’argent, ici et dans d’autres villages. Avec la complicité de la soi-disante sorcière ? Probable. Il est arrêté quelques temps plus tard, la femme est bannie du village. C’est la porte ouverte aux charlatans, que le pouvoir en place condamnera tout autant que la sorcellerie. Comme en 1763, où le vicaire de Nay, Joandet Saubat, provoqua une épidémie de possessions dans la région. Toujours contre rétributions financières, il organisait des prières publiques et exorcisait à tour de bras. Le Parlement de Pau réagit très rapidement face à cet homme. Il publie immédiatement après un arrêt concernant la sorcellerie parlant d’erreurs populaires, de superstitions, de prétendus sorciers et d’abus préjudiciables à l’ordre public. Le pouvoir en place tente d’annihiler la croyance populaire en la sorcellerie.

Sur le terrain, les croyances restent fortes mais évoluent. La sorcellerie, devenant source de profit, se masculinise. On parle désormais de sorcellerie blanche et de pouvoir de guérison. Aujourd’hui encore, on trouve dans nos villages de ces sorciers capables de faire partir nos maux avec quelques gestes et incantations. Au XVIIIème siècle, ces nouveaux sorciers se dotent d’armes puissantes : des livres. Basés sur une science de l’à peu près, les livres restent impressionnants pour des villageois illettrés.

Dans les villages, peu à peu, se développent lors des veillées, les histoires de sorcellerie. D’abord certainement tirées de la réalité quotidienne des diseurs, les veillées font vite place au conte et à la légende. Au XIXème siècle, les Béarnais parlent toujours de la marque traditionnelle de la patte de crapaud dans l’œil de la sorcière. « Qu’ha pates a l’oelh », Elle a des pattes dans l’œil. Ou « Qu’ha crepaut a l’oelh », elle a un crapaud dans l’œil.

Sources

  • Vastin Lespy, Les sorcières dans le Béarn 1393-1672, Cressé, Éditions des régionalismes, 2010.
  • Bordes François, Sorciers et sorcières, procès de sorcellerie en Gascogne et Pays Basque, Toulouse, Éditions Privat, 1999.